Let's Bond

Mort de fatigue

Vous vous impliquez sur le C.A. d’un organisme caritatif dont la mission vous tient à cœur. Vous vous distinguez au bureau chaque fois qu’on fait appel à vous. Tous les soirs, vous rentrez à la maison alors que tout le monde dort. Vous allez visiter votre grand-mère tous les samedis matin et lui apportez sa confiture préférée. Les gens qui vous observent voient en vous un superhéros. Mais en dedans, vous êtes en train de craquer, depuis des années.

On dit et on dénonce le fait que notre époque est celle de la performance à tout prix. Et pourtant on ne compte plus les personnalités publiques qui avouent faire des semaines de 70 heures, des influenceurs qui répètent qu’ils n’auront pas beaucoup de vacances parce qu’ils travaillent dur, des gens qui remplissent leur agenda au point où il devient difficile à distinguer de celui d’un premier ministre. Le travail, en dépit de ce que nous disent les gens qui nous implorent de ralentir, conserve toujours une forte valeur aux yeux de ceux qui work hard, play hard.

Il y a de la noblesse à se pousser et à s’accomplir. C’est parfois le gage d’un succès qui nous fera entrer dans les livres d’histoire. Parlez-en à Michael Jordan qui, selon ses coéquipiers, était le premier arrivé et le dernier à quitter la pratique quotidienne. Le succès professionnel est enivrant. On fait avancer les choses et on s’en trouve valorisé. Les autres nous tiennent en estime pour notre éthique du travail et notre ténacité. On peut compter sur vous. Le travail n’achète pas juste le superficiel et l’éphémère, des télévisions de 90 pouces et des vêtements de designer. Il permet d’envoyer ses enfants aux meilleures écoles et aux meilleurs camps. On peut leur payer les services d’un psychologue s’ils ne filent pas. C’est ce que les 60 heures de travail hebdomadaire de mon père durant 35 ans m’ont apporté, après tout.

Mais derrière tous apports sains, le travail, lorsqu’il vire au surmenage, peut être un redoutable prédateur pour notre santé mentale. On lisait dernièrement dans le New York Times l’histoire tragique d’une urgentologue travaillant « sur le front » dans un hôpital de Manhattan qui s’est enlevé la vie quelques semaines après le début de la COVID. Elle était l’une de celle qu’on qualifie de héros lorsqu’on parle des médecins.

Elle était connue pour être une bourreau de travail. Elle prenait des cours de salsa, participait activement aux activités de son église locale et faisait du bénévolat. Aux dires de ses amies et de son entourage, elle rayonnait. Or la COVID lui ferait vivre quelque chose d’inédit : elle faisait face à un échec professionnel qui la taraudait. Elle était impuissante à guérir ses patients qui succombaient à cette nouvelle maladie voleuse de vies humaines. Il n’aura fallu que quelques semaines pour qu’elle tombe dans les affres de la dépression et qu’elle soit avalée à jamais.

Cette funeste anecdote met en évidence toute la place que peut occuper le travail dans la définition de soi, et les risques que nos accomplissements professionnels soient l’unique carburant qui nous fait avancer. Elle devrait servir de précaution à ceux qui ne voient d’autre salut que de toujours en faire plus toutes les heures, tous les jours.

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